Comment le jeu de l’UBB a changé, sur les bases de Rory Teague

5 victoires en 6 matchs de Top 14. C’est le bilan de l’UBB suite au départ de Rory Teague. Le départ de ce dernier a complètement libéré les joueurs qui récitent désormais (quasi) parfaitement leur rugby. Paradoxalement, l’UBB n’a jamais aussi bien appliqué le plan de jeu voulu par Rory Teague que depuis son éviction. Explications.

 

Rory Teague a été promu au poste d’entraîneur principal en janvier 2018, suite au départ de Jacques Brunel chez les Bleus, avec un soutien et une confiance totale du président Laurent Marti qui n’hésita pas à le prolonger jusqu’en 2021. C’est à partir de la préparation estivale que Rory Teague imposa sa griffe sur le plan de jeu de l’UBB.

 

Finie la possession, le jeu à outrance et les belles envolées au large, place désormais au pragmatisme. L’accent est mis sur le jeu d’occupation, le jeu de pression et la défense. Surtout, les joueurs ne doivent pas sortir du cadre de jeu fixé. Ce fut particulièrement flagrant lors du premier déplacement de la saison au Stade Français, où l’équipe usa et abusa du jeu au pied et des chandelles, même quand le jeu ne l’imposait pas. Idem lors du match suivant, lors de la fameuse réception de Montpellier (match nul 9-9). Lors des matchs suivants, l’UBB a maintenu ce cap avec des fortunes diverses : belles victoires face Clermont, La Rochelle et Lyon, déceptions à Grenoble, Agen et Toulouse.

 

C’est après la déroute à Toulouse que le président Laurent Marti décida de se séparer de Rory Teague. Joe Worsley, entraîneur chargé de la défense depuis 2012, est promu au poste d’entraîneur général jusqu’à la fin de saison. Depuis, les joueurs sont psychologiquement libérés, comme délivrés d’un mauvais esprit, un mauvais sort. L’UBB enchaîne les bons résultats et les bonnes performances tout en maintenant le même plan de jeu. Joe Worsley a maintenu le même système de jeu tout en y apportant de légères modifications, notamment sur les ballons de récupération. Regardons par exemple le premier essai de l’Union à Perpignan. Jandre Marais administre un gros placage sur son adversaire et les bordelais récupèrent le ballon suite à une belle poussée dans le ruck. Là où sous les ordres de Rory Teague, l’UBB aurait dégagé au pied pour repousser l’adversaire dans son camp, les joueurs ont joué au large afin de bénéficier du déséquilibre dans la défense usapiste sur les extérieurs, aboutissant au premier essai bordelais.

 

 

Malgré cet essai après une belle relance suite à une récupération, le plan de jeu fut de mettre constamment la pression sur l’USAP par du jeu au pied et par de l’occupation. Le match face au Racing 92, quant à lui, fut l’exemple parfait de cette pression au pied. L’UBB a régulièrement utilisé le jeu au pied afin de maintenir constamment le Racing dans son camp voire dans ses 22. Brock James, bien secondé par Baptiste Serin, a constamment maintenu le Racing dans son camp par son jeu au pied avec 430 mètres de jeu au pied (selon les statistiques de la LNR, il est le joueur ayant cumulé le plus de jeu au pied depuis le début de la saison avec 2740 mètres). Dans les deux séquences suivantes, on voit clairement que l’UBB, bien que déjà dans le camp du Racing, cherche à accentuer sa pression sur l’adversaire en le retranchant dans ces 22. D’où les jeux au pied de Brock James.

 

 

Dans ce cas, l’UBB aurait pu continuer à chercher les déséquilibres à l’extérieur de la défense du Racing. Là où par le passé, elle aurait insisté jusqu’à trouver ce déséquilibre, si elle ne le trouve pas dorénavant après 3-4 temps de jeu, elle use souvent du jeu au pied afin de mettre la pression sur l’adversaire. On a pu souvent voir ce type de séquences dans ce match mais pas seulement, on l’a vu également face à Castres, Perpignan, Lyon, Clermont, Montpellier, etc. De plus, le carton rouge reçu par le Racing 92 dès la onzième minute ne modifia en rien la stratégie bordelaise : occupation et maintien systématique du Racing dans son camp, voire dans ses 22.

 

Dans la séquence suivante, suite à une mêlée, Yann Lesgourgues joue coté fermé sur Adrien Pélissié qui met son équipe dans l’avancée. Au lieu de profiter de cette avancée en cherchant des déséquilibres qu’elle pourrait créer, Yann Lesgourgues tape une chandelle au pied. Il met du coup une grosse pression sur l’arrière-garde d’Agen car ce lancement de jeu était préparé, et donc accompagné par une grosse montée des joueurs de l’UBB qui permit à Blair Connor et Mahamadou Diaby de mettre la pression sur le troisième rideau agenais (l’UBB avait exactement réalisé le même lancement de jeu face au Racing dans la même situation).

 

 

On trouve aussi un lancement similaire un peu plus tôt dans la partie. Semi Radradra est envoyé défier la défense agenaise en sortie de mêlée. Yann Lesgourgues rejoue sur Adrien Pélissié côté fermé qui met l’équipe dans l’avancée. Et on profite de cette avancée pour administrer un long jeu au pied qui trouve une jolie touche là où auparavant, on aurait cherché les déséquilibres sur les extérieurs.

 

 

Toutes ces séquences illustrent le nouveau type de rugby que voulait mettre en place Rory Teague. Joe Worsley a continué le travail tout en y apportant une touche personnelle sur les ballons de récupération et sur la permission/nécessité  parfois de savoir sortir du cadre pour profiter des déséquilibres défensifs créés chez l’adversaire, ce qu’on appelle « l’intelligence situationnelle ». Le premier essai face au Racing d’ailleurs provient d’une « intelligence situationnelle » lorsque Baptiste Serin profite d’un espace dans la défense francilienne pour s’y infiltrer. Quelques temps de jeu plus tard, George Tisley inscrivait le premier essai de l’Union.

 

Défensivement, le duo Rory Teague Joe Worsley a apporté une meilleure rigueur et une meilleure efficacité défensives. L’UBB, pas vraiment réputée par le passé pour sa défense, est désormais la troisième meilleure défense du championnat à la fin des matchs allers. Surtout, elle est désormais capable de subir de très longues séquences de jeu sans encaisser de points (vous avez surement tous en tête cette fameuse séquence de jeu de presque 3 minutes contre l’ASM qui, en deuxième mi-temps, multiplia les temps de jeu dans les 22 mètres de l’Union sans avancer d’un iota, où l’UBB finit par récupérer le ballon et se dégager).

 

Le jeu de l’UBB n’a pas été révolutionné après le départ de Rory Teague. Il s’articule toujours autour du jeu au pied, de l’occupation et de la défense. L’équipe cherche plus à avoir une possession efficace qu’à chercher la possession de ballon comme principe de jeu (selon les statistiques de la LNR, le taux de possession de l’UBB est de 46% à la fin des matchs allers, soit le taux le plus faible du top 14).  Il semble donc que le management de Rory Teague et que sa manière de gérer les hommes constituaient un frein au développement du jeu et du club car depuis son éviction, c’est surtout humainement et psychologiquement que les choses ont changé. Le plan de jeu est resté similaire et c’est avec des joueurs et un état d’esprit retrouvés que l’équipe avance. Jandre Marais (avant sa blessure), Semi Radradra, Adrien Pélissié, Nans Ducuing ou Baptiste Serin ont retrouvé leurs niveaux. Conjugué aux joueurs qui l’ont maintenu, tels Vadim Cobilas, Mahamadou Diaby, Blair Connor ou Jefferson Poirot, à de belles découvertes (Beka Gorgadze, Alexandre Roumat ou Romain Buros) et à plan de jeu de plus en plus maîtrisé au fur et à mesure que la saison avance, notre équipe peut légitimement ambitionner une performance historique pour la deuxième partie de saison.

 

Merci à Matthieu Meillan pour son aide.